Un jour si blanc – Un drame de Hlynur Pálmason
Dans une petite ville perdue d’Islande, un commissaire de police en congé soupçonne un homme du coin d’avoir eu une aventure avec sa femme, décédée deux ans plus tôt dans un accident de voiture.
Sa recherche de la vérité tourne peu à peu à l’obsession, le menant inéluctablement à se mettre en danger, lui et ses proches. Une histoire de deuil, de vengeance et d’amour inconditionnel.
Le Prix Fondation Louis Roederer de la Révélation a été décerné à Ingvar Eggert Sigurðsson à l’occasion de la 58ème Semaine de la Critique à Cannes, pour son rôle dans le film.
Interview de Hlynur Pálmason par Marta Balaga
Vous ouvrez le film avec la citation : « Quand tout est si blanc qu’on ne peut plus faire la différence entre la terre et le ciel, les morts peuvent nous parler, à nous qui sommes vivants ». Ce qui m’a tout de suite fait penser qu’il s’agissait d’une histoire de fantôme, celle d’un homme qui recherchait la vérité sur sa femme disparue.
Je crois que je suis attiré par les choses qui me semblent mystérieuses et j’entretiens de ce fait une certaine ambiguïté. Les choses qui sont cachées sont pleines de possibilités et stimulent l’imagination. Je pense que les principaux moteurs dans le travail sont la passion et le désir d’explorer l’inconnu.
Il y a dans le film des moments étranges, comme l’émission de télé pour enfants qui dure assez longtemps. Pourquoi ?
Je ne trouve pas que ce soit tellement étrange, comparé à ce qui passe à la télé ou à ce que les gens regardent sur leur téléphone. Je crois que la scène fait écho à des choses que le film explore, mais d’une façon ludique. Il y a un proverbe chinois que j’aime bien : « Plus on connaît une chose, moins elle nous semble étrange ».
Est-ce que vous utilisez souvent le genre comme point de départ, pour ensuite vous en éloigner et raconter votre propre histoire ?
Je n’ai jamais pensé aux films de genre, je m’y connais d’ailleurs très peu. Je ne sais pas si je suis très conscient d’où va le film, mais pour moi Un jour si blanc est un film sur deux types d’amour. L’amour que vous éprouvez pour vos enfants ou vos petits-enfants, qui est simple, pur et inconditionnel, et puis un autre type d’amour – celui que vous éprouvez pour votre conjoint, votre amoureux, votre femme… C’est un sentiment complètement différent, plus complexe, intime, animal et relativement unique, que vous n’éprouvez pour personne d’autre.
Dans le film, on n’en apprend pas beaucoup sur son épouse – il n’y a pas de flashback, juste quelques brèves évocations – elle reste une sorte de fantasme.
Je voulais qu’elle soit présente dans le film, mais pas à travers des flashbacks ou quoi que ce soit de trop sentimental. Je voulais qu’elle soit évoquée et présente à travers des objets, des images et la cassette vidéo. De cette manière, j’ai l’impression que je laisse plus de place à l’imagination, qu’on peut projeter nos propres images et sentiments sur elle, et qu’elle reste mystérieuse. Les moments avec elle ont une grande importance dans le film, d’autant plus qu’ils sont très ponctuels, je ne voulais surtout pas abuser de sa présence à travers des flashbacks sentimentaux ou trop d’informations. La vie est mystérieuse et nous nous efforçons de l’accueillir.
La bande son reflète cela. Quels types de sentiments vouliezvous qu’elle suscite ? Parce qu’elle semble suggérer que quelque chose va mal tourner, pratiquement depuis le début.
Je voulais que la musique corresponde au tempérament du film, qu’elle soit belle et brillante au début, pour sombrer naturellement dans quelque chose de plus sombre et mystérieux. Ça a été passionnant de travailler avec la musique d’Edmund Finnis. Je suis très fan de son travail et je trouve que sa musique fonctionne merveilleusement bien avec le montage son. Elle donne de l’air à la bande son et le film donne de l’air à sa musique, je trouve que ces deux éléments se mettent parfaitement en valeur, sans jamais s’étouffer.
Vous aviez déjà travaillé avec Ingvar Sigurdsson sur Un Peintre (2013), votre film de fin d’études à l’École Nationale de Cinéma du Danemark. Qu’est-ce qui vous a fait repenser à lui, en particulier pour ce rôle ?
J’ai adoré travailler avec Ingvar sur mon film de fin d’études et j’ai senti qu’il y avait des tas de choses qu’on pouvait explorer ensemble. C’est pourquoi j’ai écrit et développé Un jour si blanc en pensant à lui et en parlant régulièrement avec lui. Ingvar est un acteur très physique, mais en même temps très présent émotionnellement, et c’est un formidable collaborateur. Il a une compréhension profonde de la manière dont il faut bouger, se déplacer, avec des gestes naturels que la caméra peut capter. Il est techniquement très bon, tant sur la gestuelle que sur le dialogue, et ça me donne une immense liberté d’écriture, y compris pour des scènes longues et complexes, des scénarios souvent difficiles à mettre en œuvre. Il s’est investi à 100% dans le projet, il a été très présent et très impliqué émotionnellement et c’est vraiment ce que j’attends de mes plus proches collaborateurs.
Nous n’avons pas encore parlé de sa relation avec sa petite-fille, un des personnages les plus importants du film. Comment avez-vous vu ces deux-là interagir, et leur interaction évoluer ?
Sa petite-fille est la prunelle de ses yeux, elle représente l’amour inconditionnel qu’on éprouve pour ses enfants et ses petits-enfants. Un amour simple, pur et qui a presque un pouvoir de guérison sur le protagoniste. C’était très important pour moi de prendre plaisir à être avec eux et de les voir être ensemble de manière si naturelle.
C’est intéressant de voir que, bien que très entouré par sa famille, Ingimundur n’en est pas moins très seul dans sa douleur. Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce deuil, qui bout de plus en plus, pour finir quasiment par exploser ?
Aimer, c’est être susceptible de connaître une grande perte. Ingimundur a perdu quelqu’un qu’il aimait, qu’il adorait, et voilà que quelque chose… un sombre doute s’immisce en lui et l’amène à remettre en question ce qu’ils partageaient. Quand quelqu’un est dans ce genre d’état, dans un moment de fragilité, vous le découvrez souvent dans ce qu’il a de plus humain. C’est ce que je voulais explorer.
Au lieu de chérir ses souvenirs, c’est presque comme s’il essayait de les saboter. Pourquoi décide-t-il de découvrir la vérité ? C’est un périple qui ne peut pas lui apporter la paix, si ?
Je crois qu’ils ont dû avoir une relation particulièrement forte, qui fait qu’il n’a pas vraiment le choix. Chacun des spectateurs est libre de penser que cette recherche peut lui apporter la paix, ou qu’elle ne fait que le blesser. J’espère que le film est ouvert à l’interprétation, donc ça dépend beaucoup de la personne qui le regarde. Je crois que tous les films ou autres œuvres d’art que j’aime sont ouverts et respectueux de l’interprétation de chacun. C’est probablement le cas pour l’art en général.
Vous aviez déjà exploré le sentiment d’isolement dans Winter Brothers. Qu’est-ce qui vous attire chez ces « caractères forts et silencieux », si réticents à s’ouvrir ? Et, tandis que ce premier film était décrit comme « une histoire sur le manque d’amour », celui-ci semble traiter de la destruction progressive d’un amour, curieusement par la personne même qui l’éprouve.
Je trouve Emil, le protagoniste de Winter Brothers, très différent d’Ingimundur dans Un jour si blanc. Mais peut-être que, d’une certaine manière, ils se sentent tous les deux délaissés, insatisfaits, je ne sais pas. Emil manque d’amour, d’être vu, regardé par quelqu’un, voulu et désiré. Ingimundur est abandonné à son chagrin, ses doutes et sa colère. Je pense qu’Un jour si blanc est à la fois une histoire d’amour et de haine, parce que les pensées les plus belles sont souvent proches des plus sombres. Les gens que vous aimez le plus sont parfois confrontés à vos pires côtés et la frontière entre l’amour et la détestation est très ténue.
Il y a des scènes qui montrent le temps qui passe, en particulier autour de la maison. Mais en ce qui le concerne, le temps semble s’être arrêté. Il est quasiment incapable d’avancer. Pouvez-vous nous en dire plus sur le temps qui passe dans votre film ?
Pour moi, le cinéma est avant tout une affaire de rythme, une composition faite d’images, de sons, de mouvements, de musique, de dialogues, etc. Ma collaboration avec mon monteur Julius Krebs Damsbo est très importante pour moi et c’est à ce moment-là qu’on plonge véritablement dans le film et qu’on trouve son rythme et son atmosphère. Observer la maison qu’Ingimundur construit participe pleinement au processus de deuil. Il s’agit du temps qui passe, mais aussi de rester occupé et de ne pas perdre la tête. On sent le temps qui passe, on voit les saisons qui se succèdent et le climat qui change, le jour et la nuit, le froid et la chaleur, la beauté et la brutalité. Je voulais que le prologue exprime l’écoulement du temps. Quand cette femme est morte, elle a laissé son mari avec ses sentiment de chagrin, de colère et de doute. Le film est une sorte de diatribe, un poème de haine à sa femme qu’il ne réussit pas à mettre en pièces. D’une certaine manière, il est comme une blessure ouverte incapable de guérir ou d’aller de l’avant.
[Source : communiqué de presse]
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